> Sa jeunesse à Poitiers
> Première rencontre avec Louis-Marie Grignion de Montfort
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> Saint Laurent sur Sèvre
> Ses dernières années
> Epilogues

                   Béatifiée par Jean-Paul II le 16 mai 1993, Marie-Louise Trichet fut la fille spirituelle de Louis-Marie Grignion de Monfort qui la mena par des chemins d’abnégation peu ordinaires ; elle le suivit avec une totale obéissance. Si leurs tempéraments, violence et douceur, leur origine, noblesse et bourgeoisie, leur province, Bretagne et Poitou, leur culture, intellectuel formé en Sorbonne et femme d’intérieur qui quitte l’école à 14 ans, tout cela semble les opposer, en fait ils travaillèrent dans la complémentarité. Montfort connut une série d’échecs et mourut à 43 ans sans que rien n’ait pris forme. Louise Trichet fut une femme de terrain qui donna corps aux grands projets du père de son directeur spirituel. Par la douceur, dans la quotidien obscur, elle incarna les rêves du prophète en réalités durables.

 

Sa jeunesse à Poitiers :

 

              Marie-Louise est née en 1684 à Poitiers dans une famille toute imprégnée de christianisme. Son père était procureur au présidiale de cette capitale judiciaire ; elle est la quatrième d’une fratrie de sept enfants ; blonde, les yeux bleus, le visage arrondi, c’est une enfant calme et discrète qui grandit dans un foyer où il fait bon vivre, dans une pauvreté dorée car la concurrence est rude au sein de cette noblesse de robe qui ne compte pas moins de 180 procureurs pour la ville de Poitiers. Elle est spontanément pieuse : “ Dieu fera en elle de grandes choses. ” dit son père ; elle va à l’école Notre-Dame dirigée par la Compagnie Notre-Dame fondée par Jeanne de Lestonnac. La Vierge y est très honorée. Les religieuses offraient “ tout par les mains de Marie et honoraient Jésus en sa personne ”; elle apprit rapidement à lire, écrire, à manier l’aiguille mais, devant “ une maîtresse déplaisante à la physionomie méchante ”,,  elle ne peut se résoudre à entrer en classe et, fuyant le mal et l’agressivité, va toute la matinée visiter les églises de la ville. Dès 9-10 ans, elle s’adonne à l’oraison et s’inflige même des pénitences corporelles ainsi que l’époque encourageait ce mode d’ascèse. Pour ses parents, c’est une enfant qui ne cause aucun souci.

            Elle est alors témoin d’un miracle sur la personne de sa soeur aînée Jeanne qui, en pèlerinage à Notre-Dame des Ardilliers, se trouve guérie d’une paralysie ; cette même année naît sa dernière sœur Françoise –Elisabeth qui la suivra dans la vie religieuse. Elle partage avec sa sœur Elisabeth et son frère Alexis le goût  de la prière,  n’hésitant pas à aller aux messes matinales de la cathédrale saint Pierre : 5 heures l’hiver,  six heures l’été ; elle visite les pauvres pour les secourir. Alexis et Marie-Louise créent entre eux une émulation : “  Il faut que vous soyez une Scolastique et moi un Benoît. ” Elle atteint ses quinze ans et sa vocation religieuse ne fait pas de doute mais il manque la dot indispensable pour les religieuses de chœur. Entrer parmi les sœurs converses, dont le travail supplée la dot, serait une humiliation pour la famille ; elle est devenue une charmante jeune fille au regard gracieux et au sourire sympathique.

 

Première rencontre avec Louis-Marie Grignion de Montfort : L’hôpital de Poitiers

            En Novembre 1701, c’est la première rencontre avec Louis-Marie Grignion de Montfort auquel elle s’est confessée dans la chapelle de l’hôpital après avoir entendu son sermon dans l’église de Sainte-Austregésilde : “ Oh ma soeur, si vous saviez le beau sermon que je viens d’entendre ! Le prédicateur est un saint. ” Monsieur de Montfort  a alors 28 ans ; aumônier à l’hôpital général qui est en fait un hospice, il est venu à pied avec ses vêtements en lambeaux donnant sur la route ce qu’il possédait aux pauvres ; il réforme la distribution de l’alimentation donnant du pain  4 fois dans la journée et ajoutant une soupe ;

         Dès cette époque, il manifeste une grande facilité d’élocution qui lui ouvre les cœurs ; il confesse depuis le matin jusqu’au soir et, prophète,  déclare à Marie-Louise au confessionnal : “  C’est la Sainte Vierge qui vous a dit de venir ici.” Sa mère s’inquiète : “  J’ai appris que tu allais à confesse à ce prêtre de l’hôpital, tu deviendras folle comme lui. ” Il donne des retraites dans un langage poétique et enflammé, incite ses retraitants au jeûne. Si il admire Marie-Louise dont il a découvert la riche nature, il la traite avec la plus grande intransigeance, la mortifie en public. Sans doute, lui promet-il qu’elle sera religieuse mais pour le moment ne l’aide en aucune démarche. Il part pour Paris.

         Marie-Louise décide alors d’entrer chez les chanoinesses de Saint-Augustin comme sœur lay vouée aux humbles besognes pour pallier  au problème de la dot. On soupçonne cet ordre de jansénisme  et, sur le champ, madame Trichet retire sa fille ; celle-ci retrouve à Poitiers Louis-Marie, lui aussi de retour qui brûle de fonder la communauté des Filles de la Sagesse. Il choisit “ ce qu’il y a de plus pauvre au sein de la pauvreté : 20 pauvres filles disgraciées, ramasséesdans l’enceinte de l’hôpital rassemblées dans une chambre séparée des salles de l’hôpital, lieu appelé la Sagesse. ” La supérieure est une fille pauvre et aveugle ; elles n’ont “ qu’un cœur etqu’une âme ” et Louis-Marie inscrit sur la Croix de Poitiers les onze maximes de la divine sagesse : Le vrai bonheur dans la pauvreté, dans une persécution injuste, dans le fait de porter sa croix tous les jours, dans la prière, dans l’amour des ennemis, dans la petitesse et la simplicité où la Sagesse révèle ses secrets. Marie-Louise n’appartient pas encore à cette communauté, elle se forme dans sa famille profondément et silencieusement à la pauvreté mais ni son âge, ni son milieu social, ni les dispositions de sa mère ne permettent d’envisager son entrée.

          Sur la suggestion de son confesseur qu’elle prend au mot, Marie-Louise décide d’aller demeurer à l’hôpital. L’Evêque, Monseigneur de la Poype, lui délivre  une lettre pour qu’elle puisse être reçue en qualité de pauvre ; en fait, tenant compte de sa naissance au sein d’une famille honorable de la ville, il la donne pour seconde à la supérieure. Sans doute, Montfort la destine-t-il à sa petite communauté mais “ avant de commander, il faut qu’elle apprenne à obéir. ”

          Elle ne se distingue en rien des pauvres filles, mange le même pain grossier. Montfort décide de la vêtir d’un habit de grosse étoffe, gris foncé, habit singulier, engoncé qui apparaît ridicule quand elle fait un tour par la ville. Il  bénit son habit et lui donne le nom de Marie-Louise de Jésus ; elle a 18 ans et 9 mois. Sa mère s’insurge devant cet accoutrement  bizarre mais Montfort tient bon quant à ce signe de l’état de pauvreté : “  Votre fille, madame, n’est plus à vous, elle est à Dieu. ”  Il continue d’éprouver Marie- Louise, la reprenant, la mortifiant jusqu’à lui faire servir un “ bouillon gris où les vers surnagent ”, lui imposant d’aller en ville en gros sabots plats et vêtue d’une grossière cape de drap ; la sœur Trichet s’en allait aussi au grenier pour faire une journée d’oraison sans manger ni boire.

          Quant à Montfort, il parcourait la ville avec un ânon bâté quêter la soupe des pauvres ; cette originalité fait exploser des critiques. Les retraites sont interdites par l’évêque. Louis-Marie risque d’être blessé par une broche de rouet qu’une contestataire lui jette ; finalement rejeté de Poitiers, il monte à Paris où, à l’hôpital général, il s’occupe de 5 000 pauvres. Dans son courrier à Marie-Louise, il demande ses prières et celles de ses amies pour que la divine Sagesse lui soit accordée ; ainsi, une heure tous les lundis, elle sont unies avec lui dans la même intention :“  Rien ne peut résister à vos prières. Dieu même, tout grand qu’il est, ne peut y résister. ” lui déclare Monfort.

        Une pétition est écrite avec succès par les 400 pauvres de l’hôpital pour qu’il revienne ; à son retour, ils allument un feu de joie ; cependant à l’hôpital les coteries reprennent et, de son plein gré, il quitte  l’hôpital tout en annonçant  prophétiquement à Louise-Marie : “  Ma fille, ne sortez point de cette maison de 10 ans. Quand l’établissement des Filles de la Sagesse ne se ferait qu’au bout de ce terme, Dieu serait satisfait et ses desseins sur vous seraient accomplis. ”  Nommé dans le diocèse directeur des pénitentes, il continue ses missions à Saint-Savin, Le Calvaire, Saint-Saturnin, Saint Hilaire. C’est encore trop et il reçoit une lettre  de l’évêque lui ordonnant de quitter le diocèse. Il se rend alors à Rome où Clément X1, qui le reçoit, lui enjoint de ne point partir de France et lui confère le titre de “ missionnaire apostolique. ” Il lui remet un crucifix par lui béni. Marie-Louise reste seule au service inlassable des pauvres sans guide et sans communauté officielle.

             Si son habit est critiqué, son efficacité, son humilité sont de plus en plus reconnues, elle garde le cœur ouvert aux détresses : disette, épidémie, elle fait merveille. Cette même année, elle perd successivement  sa sœur Elisabeth avec qui elle était très liée, son frère Alexis. Peu après son ordination, celui-ci s’était enfermé avec les pestiférés détenus à l’hôpital des champs non loin de la ville et, atteint par la contagion, il meurt dans ce monde coupé des vivants.

            Ses trente ans approchent ; elle projette d’entrer chez les filles de saint Vincent de Paul pour continuer d’œuvrer auprès des pauvres ; ses projets sont connus ; c’est la panique à l’hôpital où elle rend de grands services et Monseigneur intervient  pour l’empêcher d’y donner suite. Elle pense à la Congrégation des filles du Calvaire. Monsieur de Montfort lui enjoint  de demeurer patiemment à l’hôpital. Le Carmel la refuse pour raisons de santé. C’est bien à l’hôpital que Dieu la veut.

        Le zèle de Monfort est toujours redouté et, dans le petit ermitage près de Poitiers où il vient de dormir après une nuit de voyage, un avis de l’Evéché lui ordonne de quitter la ville dans les vingt quatre heures. Après avoir vu discrètement Marie-Louise, il obéit ; il hâte ses projets car il sent sa mort prochaine ; il est exténué mais son regard est plus brillant que jamais, sa voix pacifiée et il rayonne une joie lumineuse. Marie-Louise lui confie ses soucis de ces sept années ; la Sagesse est au centre de leur entretien. Marie-Louise n’a pas oublié la longue prière autrefois apprise pour demander à Dieu cette mystérieuse sagesse, elle la répète chaque jour : “  Nous vous demandons le trésor infini de votre divine sagesse par les entrailles miséricordieuses de Marie, par le sang précieux de votre très cher fils et par le désir extrême que vous avez de communiquer vos biens à vos pauvres créatures. ” Ils parlent aussi des habits gris qui pourraient se joindre à elle : deux sœurs, les sœur Brunet, dont Catherine qui sera sa principale collaboratrice, seront les premières novices. Catherine Brunet prendra le nom de Sœur de la Conception.

La Rochelle :

               Montfort est reparti reprendre ses missions et Marie-Louise dirige l’hôpital, chargée de l’administration mais plus encore attentive à l’océan des pauvres ; cependant Montfort l’a invité à se tenir prête : des écoles populaires entièrement gratuites doivent être créées dans le diocèse de La Rochelle ; des amphithéâtres étagés en neuf gradins pourraient contenir cent à cinquante enfants. Des oppositions empêchent son départ, l’hôpital, madame Trichet elle-même. Sur la prière d’une pauvre mendiante aveugle à qui l’on recommande avec insistance l’intention, la résistance de madame Trichet est enfin vaincue. L’évêque lui-même assure qu’il pourvoira au nécessaire. Marie-Louise rend ses comptes tant auprès de l’intendant de la       nourriture qu’auprès de celui des bâtiments ; ils concluent toutefois “ qu’elle a perdu l’esprit. ” L’aumônier en appelle à sa conscience et la sœur aînée de Catherine ajoute : “  Vous êtes blâmables devant Dieu et devant les hommes. ”  Pour rompre, il leur faut partir sur le champ ; des places sont arrêtées au coche et elles ressentent alors “ une joieinexprimable ”. Madame Trichet accompagne sa fille, jetant de grands cris et les larmes aux yeux.

           Après 136 kilomètres, de chambre d’auberge en chambre d’auberge, elles arrivent ; rien n’est préparé pour les recevoir. Elles trouvent provisoirement un logis. A l’instigation de Montfort, elles se font faire de longues capes noires, qui représentaient leur mort à toutes choses, pour sortir en ville. Il leur donne ses premières instructions, dénommant leur communauté “ la communaute des Filles de la Sagesse pour l’instruction des enfants et les soins des pauvres. ” Il nomme responsable Marie Trichet pour 3 ans au moins, lui recommandant d’être à la fois ferme et charitable. Surtout, il leur dit sa joie de les rencontrer : “ Quand je vous ai vues, je ne savais si je devais chanter le Magnificat ou le Te Deum. ”  Il conforte Marie-Louise dans ses fonctions de Supérieure : “ Voyez, ma fille, cette poule qui a sous ses ailes ses poussins. Avec quelle attention, avec quelle bonté elle les affectionne, c’est ainsi que vous devez faire et vous comporter avec toutes les filles dont vous allez désormais être la Mère. ”  Sa prédiction vieille de dix ans  pour l’établissement des Filles de la Sagesse est enfin réalisée et il lui dévoile qu’un jour on la demandera  à Poitiers.

           L’école ouvre à la mi-mai 1715 ; les enfants ont de 7 à 14 ans et au-dessus, issus de familles pauvres ou aisés, instruits ou pas du tout ; c’est une incroyable improvisation ; il tient tellement à la gratuité qu’il tend un piège aux sœurs pour s’assurer qu’elles ne se laisseront pas circonvenir ; cette gratuité radicale entraîne un excessif dénuement des sœurs, il leur arrive de manquer de pain. A cette vie austère, Montfort ajoute des demandes provocantes telle celle de prendre des cercueils pour lits mais le bon sens reprend bientôt le dessus et une paillasse et un matelas sur des planches clouées sur deux tréteaux remplace ces cercueils-lits.

          Dans l’ermitage de saint Eloi, Montfort continue la formation des soeurs et des postulantes, met la dernière main à la règle de la Sagesse et, une fois son travail achevé, le soumet à Sœur Trichet. La fin intérieure de la règle est l’acquisition de la Divine Sagesse, les sœurs exerceront la charité “ en soignant et en guérissant les pauvres incurables ”. Il laisse la possibilité de maintenir la supérieure en charge par une élection de trois ans en trois ans ; il conseille aussi que la supérieure se choisisse une bonne amie qui l’avertira charitablement de ses défauts et à laquelle les autres soeurs pourront facilement exposer leurs plaintes. La Sainte Vierge est la Supérieure et la Mère de toute la communauté et il met en garde contre “ les faux dévots qui, sous le manteau de la Mère, crucifient et déshonorent le Fils. ”  Ses règles, à l’épreuve du temps, se révéleront solides. 

             Les premières vocations arrivent : Soeur de la Croix, Sœur de l’Incarnation, Sœur saint Michel. L’hôpital de la Rochelle est en difficulté, deux sœurs y sont dépêchées mais Montfort reste très présent et Marie-Louise se fait vertement reprendre pour avoir décidé de sa propre initiative une vêture ; il ponctue cette première année de la Sagesse par le cadeau d’un livre qu’il dédie aux sœurs “ en ce dernierde l’an ”. S’agit-il de l’amour de la Sagesse éternelle ou du secret de Marie ? : “  Voici un livre fait pour vous… Ne vous impatientez pas de mon absence. Moins j’aurai de part à cet établissement, plus il réussira. ”  Il suit de près la vie spirituelle des sœurs mais il veut les habituer à se passer de lui.

             Monfort meurt le 28 avril ; les sœurs perdaient leur soutien matériel et spirituel, celui qui était leur phare. Monseigneur de Champflour, très affecté par la perte de celui qu’il appelait “ le meilleur prêtre de mon diocèse ” se fit plus présent. Il acheta une maison où 400 élèves purent entrer ;  33 (les 33 années de la vie du Christ) seront formées en profondeur. Ainsi se passent à La Rochelle encore deux années et demi.

De la Rochelle à Poitiers :

             Au lendemain des fêtes de Noël, changement de décor. Madame Trichet, bravant l’hiver, débarque par coche à l’hôpital et annonce  que l’hôpital de Poitiers la réclame ; elle serait dans les meilleures conditions pour y fonder un noviciat ; après que madame Trichet eut arraché le consentement de l’évêque de haute lutte, il ne restait plus qu’à liquider l’œuvre enfin florissante ; la communauté se coupe, les deux rochelaises restent provisoirement. Catherine, sœur Marie-Louise et Soeur saint Joseph partent. Comment expliquer une décision aussi rapide ? Pour Marie-Louise, Poitiers représentait son éveil spirituel, sa rencontre avec Montfort, sa réussite à l’hôpital ; elle est accueillie avec chaleur et pourra réaliser dans l’hôpital même “ l’établissement des filles de la Sagesse avec le noviciat et la formation. ” Le bureau impose dans les clauses la nomination de la supérieure par l’hôpital et le don à celui-ci de la moitié de la dot des novices ; pour la congrégation, c’est une impasse car la Sagesse serait fixée sous la double dépendance des finances et du pouvoir. Marie-Louise tient bon face à ses exigences.

 

Saint Laurent sur Sèvre :

          Un disciple de Monfort lui suggère alors Saint Laurent sur Sèvre, lieu de la mort du Père de Montfort et de son tombeau. Madame de Bouillé qui avait été guérie par la prière de Montfort et qui habite au château de la Machefolière à Saint-Laurent sur Sèvre se propose d’aider la cause de la Sagesse. C’est un trait de lumière dans le gouffre noir où se débat Marie-Louise. Elle monte dans sa chambre pour demander au Saint-Esprit son inspiration et a la réponse que son cœur désirait. Madame de Bouillé était la fille de l’ancien maire de Poitiers, elle présente sa requête à Monseigneur qui finit par donner son consentement ; le marquis de Magnanne, veuf, fort de 30 000 livres de rente s’est joint au projet ; la paroisse prend l’engagement d’accueillir les Filles de la Sagesse pour enseigner gratuitement les petites fille et soigner les pauvres malades : “ une maison est achetée, une petite chapelle va être bâtie. ”

            Là encore, des ordres sont donnés pour empêcher son départ de l’hôpital, elle était si nécessaire :  “ des gardes sont mis à toutes les portes pour l’empêcher d’en sortir ”. L’intendant l’envoie chercher : “  De la part du roi, je vous défends de sortir de cet hôpital. ”. Le convoyeur envoyé pour guider Marie-Louise dans son premier voyage à cheval piaffe pour précipiter le départ. Elle argue qu’il s’agit de la gloire de Dieu et part enfin seule, laissant les deux sœurs, à cheval , à travers les champs à perte de vue, avec son guide ; elle traverse le Poitou et le bocage, 117 kilomètres de sentiers rocailleux.

               Au bout de la route, lui apparaît enfin le village où elle vient pour semer et faire croître un grand arbre dont elle n’imagine pas le faîte et l’envergure. La maison achetée se révèle une vielle maison composée de plusieurs galetas et masures sans meubles, ni linge ; les lits avaient plutôt l’air de lits de camp avec des draps et une couverture faite de plusieurs morceaux d’étoffe ; les bancs étaient quelques tisons de fagots, des écuelles et assiettes de grosse terre, des fourchettes et cuillères de bois et de pauvres lumignons complétaient l’ameublement. Le gros morceau de pain noir servi au terme du voyage était aussi difficile à mâcher qu’à avaler et digérer. ces inconvénients continueront plusieurs années.

           Catherine Brunet (sœur de la Conception), sœur saint-Joseph et la propre sœur de Marie-Louise, Françoise Trichet, les rejoignent. Françoise prendra l’habit sous le nom de Sœur Séraphique ;  “ dans la maison longue ”, on improvise des lits, des tables, des sièges il y a donc trois professes et une novice ; un petit oratoire est installé dans un galetas décoré d’images en papier, une cloche sonne les exercices depuis le lever à 4 heures jusqu’au coucher à 9 heures. Dans la maison rudimentaire, glaciale ou torride, la vie austère s’instaure. Elle sont soutenues par l’abbé Triault qui se sentait “ réservé par Dieu pour aider et soutenir les Filles de la Sagesse. ”

            Soeur Marie-Louise veut faire de ce lieu une communauté fondatrice, un établissement de fondation. Seules, deux soeurs pour visiter les malades et pour y faire l’école sont attachées à la maison. Sous l’impulsion de Marie-Louise  le rayonnement et l’essor des Filles de la Sagesse s’étend. Elle se consacre aux fondations dans la ligne prévue par Louis-Marie de Montfort : hôpitaux, écoles, maisons de charité ; la plupart des maisons de charité seront fondées avec deux sœurs seulement au lieu de trois nécessaires pour un rythme humain.

           Marie-Louise est essentiellement maîtresse de novices qu’elle traite comme des plants tendres qui ne font encore que d’être transplantées et qui se sentent encore dans la terre du monde, dont elle ne font que d’être tirées. Elle est attentive à ne pas devancer l’action de la grâce mais se défie des fausses mystiques. Avec un discernement charismatique, elle dit à l’une ou l’autre :

“- Pensez que vous n’avez rien de plus à craindre que vous-même.

– J’ai expérimenté que j’ai toujours plus gagné par la patience et la douceur que je n’aurais fait autrement.

– Vive Jésus, vive sa Croix, ma très chère fille, souvenez vous du beau nom que vous portez qui est celui du Calvaire. Vous ne devriez pas être un moment sans être ornée de la chère Croix et vous devriez en faire tous les jours vos plus chers délices.

– Le courage avec lequel vous soutenez l’épreuve vous assure par avance un degré distingué de mérite et de gloire. ”

          Dix ans avant sa mort, elle nomme une maîtresse spéciale des novices et la guidera dans ses fonctions de “ première maîtresse ” tout en gardant humblement l’emploi de “ seconde maîtresse ” . Elle poursuit en même temps à cadence accélérée les fondations multiples qui nécessitent de longs voyages.

          A Rennes, en 1724, une maison est reprise qui devient une école modèle accueillant des orphelines pensionnaires. La Rochelle pose problème : Les deux rocheloises étaient rentrées dans leur famille, l’une vêtue d’un pauvre habillement faisait l’école aux petites filles c’était une fondation tout à fait indépendante, spontanée, qui pouvait devenir “ schismatique. ” Après avoir emprunté 10 écus, sœur Trichet chevauche vers la Rochelle, rencontre les sœurs  comme si de rien n’était, loue l’arrangement du couvent, le nombre des soeurs et, par la douceur, en deux mois, gagne le cœur et l’esprit des Filles de La Sagesse qui ne peuvent porter ce nom sans être unies à celles de saint-Laurent. La prise en charge de l’hôpital a lieu sur de nouvelles bases. Catherine Brunet et un missionnaire de monsieur de Montfort font de cet hôpital un modèle qui sera propagé à Niort, Saint-Lô, Valognes. A L’ile de Ré, deux sœurs s’occupent de l’éducation et des pauvres.

        Epuisée, Marie-Louise, tombe malade. A peine remise, c’est la nouvelle de la mort de Catherine Brunet à la Rochelle. La fondation de Niort se révèle pleine d’embûches, elle fut appelée “ le tombeau des Filles de la Sagesse ” tant il y a de décès. Pour la première fois, un hôpital masculin est pris en charge : l’hôpital du chateau d’Oléron laissées par les filles de Monsieur Vincent ; les filles de la Sagesse  soignent les jeunes recrues parties pour les guerres coloniales et victimes du scorbut et font bien des conversions ; après la mort de Marie-Louise, de grands hôpitaux maritimes seront pris en charge , Brest, Cherbourg, Toulon.

        Sa santé subit toujours des chocs sévères mais, suivant la prophétie de monsieur de Montfort, elle devait fonder l’hôpital de Poitiers avant sa mort ; cela ne se fera qu’en 1748 ; l’asile des pénitentes, l’asile des incurables s’y adjoindront. Une autre série de chantiers concernait les petites communautés dans les villes ou villages où deux sœurs assuraient un labeur écrasant. Grâce à la disposition de l’école en gradins, une seule sœur assurait l’instruction d’une soixantaine d’élèves de 7 à 15 ans, 5 heures par jour, arrachant les enfants aux ténèbres de l’ignorance scolaire et religieuse. Les patentes épiscopales ou royales établissaient juridiquement chaque maison. Du vivant de Marie- Louise, le cap fut franchi de plus de 100 sœurs et de 30 fondations.

Ses dernières années :

             A la fin des années 1740, elle est obligée de partager ses responsabilités nommant une maîtresse des novices, soeur Honorée, et une assistance générale, sœur Florence, âgée de 40 ans, d’une grande fraîcheur d’esprit ; elle visite les fondations de Vendée, du Poitou, d’Aunis, de Saintonge.

             Au seuil de ses 67 ans, elle sent l’usure ; lors d’un dernier voyage, elle part à cheval par les mauvais chemins visiter les 18 communautés pendant 4 mois ; ce sera son dernier périple. Elle agit alors par son rayonnement, ses lettres courtes et simples. Elle dirige de loin. A Saint-Laurent, elle est présente au noviciat, forme les institutrices et enseigne la pharmacie. Elle vit de la présence de Marie réfère tout à Montfort et surtout à Dieu. Elle va jusqu’à se choisir une sœur qui la commande en ce qui concerne sa conduite personnelle et continue l’effrayante rigueur d’ascèse qui était celle de Montfort et des personnes ferventes de son temps à base de disciplines ou autres instruments de pénitence. Par cet abandon, elle recherche la Sagesse, c’est-à-dire Jésus-Christ, le Verbe incarné.

         En 1755, commence une grande épreuve : une coterie se forme qui se veut rénovatrice, on ironise sur ses initiatives qui étaient le sel de la maison. A-t-elle encore son bon sens ?  Marie-Louise en  souffre beaucoup : “ Quand je vois cette pauvre maison, cela me fait saigner le cœur. ”  Le nouveau supérieur général élu, le Père Besnard, lui-même, la fait mettre à genoux en pleine assemblée pour lui faire réprimande pour une chose qu’elle n’a pas commise. Il finit par connaître les complots iniques formés contre elle. La paix bannie depuis près de deux ans revient enfin.

        Elle confie à son père spirituel la voie où Dieu la conduit. Elle se veut victime du silence, (adorer le silence de Dieu qu’il a gardé pendant une éternité et le silence de Jésus au Saint-Sacrement,) victime de l’obéissance, victime de la Croix intérieure et extérieure : “ Mon père, traitez-moi comme la dernière des novices, mais une novice qui a un besoin infinie d’être éprouvée en tout : point de ménagement, s’il vous plaît, agissez à mon égard comme Dieu vous l’inspirera. ” Le père Besnard collabore à l’achèvement des constitutions ; elles sont prêtes pour la retraite de l’été 1758. Elle devient la doyenne de la Congrégation et soupire : “ Oh, ma chère Sagesse, pourquoi me laissez vous languir si longtemps sur la terre ? ”

          Le 4 décembre, c’est l’accident : en sortant de sa chambre, elle heurte du pied un morceau de bois, tombe et se démonte l’épaule ; alors que 5 ou  6 personnes doivent la tenir, l’os déboité est remis dans la rotule par le chirurgien. Elle choisit elle-même, pour la soigner, une novice dont elle connaissait le peu d’habileté et de vigilance mais c’est une escalade de douleur et Marie-Louise avoue : “ Mon bon Jésus me favorise de sa Croix. ”  Elle n’est plus occupée que de la pensée de l’éternité et du désir de voir son Dieu.

           Elle commence à circuler de sa chambre à la chapelle et célèbre dans cet état Pâques, le 15 avril ; quelques jours après elle ressent un point de côté une fièvre très violente, elle reçoit le viatique. Elle est déjà toute à son bien-aimé Jésus ; les colloques se poursuivent avec Jésus, Marie, le Père de Montfort :

“ Venez donc , mon cher Jésus, paradis de mon âme,

Ma chère bonne Mère, ma bonne Marie tant aimée ! Ce n’est pas moi qui suis la supérieure de cette maison, c’est vous !

Cher Père de Montfort, je suis une de vos filles, j’irai vous voir sous peu…J’ai toujours désiré mourir entre Jésus et Marie.”

      Elle trace le signe de Croix avec la statue de la Vierge sur le cercle de ses filles agenouillées et murmurant, Mon Seigneur et mon Dieu, elle meurt à 8 heures du soir, le même mois, le même jour, à la même heure, dans le même lieu que Montfort et tenant dans ses mains la même statue de la Vierge, 43 ans après lui qui était mort à 43 ans. Elle a presque 75 ans, le deuil est général. Elle est ensevelie à côté du fondateur.

        On attendit la canonisation du Père de Montfort pour engager la cause de Mère Marie-Louise : après une guérison exceptionnelle instantanée, complète, définitive, inexplicable scientifiquement de Sœur Rosa de la Sagesse entrée chez les Filles de la Sagesse à Saint-Laurent-sur-Sèvre. Deux neuvaines de prières avaient été effectuées selon les intentions des soeurs et  de la malade. L’authenticité du miracle est reconnu et elle est béatifiée le 16 mai 1993.

 

Epilogue :

                 Ce n’est pas par hasard que Montfort a voulu très vite cette communauté féminine et qu’il lui a donné le nom qui incarne son intuition primordiale. Montfort, s’appuyant sur le livre de la Sagesse, le moins commenté de la Bible, considère la Sagesse comme un secret à découvrir, un mystère, un idéal inaccessible. Il perçoit que la sagesse désigne Jésus-Christ, verbe incarné. C’est plus précisément la sagesse incarnée et crucifiée que le signe de la Croix manifeste jusqu’au bout dans le prolongement de l’Incarnation réalisée par Marie.

            Le point commun de ces deux signes, c’est l’engagement de l’amour de Dieu pour le salut des hommes. Ce qui caractérise cet engagement et cet amour c’est qu’il est folie d’après le chapitre 1 de l’Epître aux Corinthiens ; cette Sagesse contredit celle du monde, parce qu’elle est l’expression de l’amour seul. Le propre de l’amour, c’est de se donner, c’est de se perdre. Cette doctrine est extrêmement concrète ; c’est ce qu’il a cherché à incarner en vivant comme un pauvre parmi les pauvres. C’est cette effrayante, radicale mais évangélique spiritualité que Marie- Louise a voulu vivre depuis la rencontre de ses 17 ans par son insertion parmi les pauvres et par son ascèse corporelle et spirituelle. Elle a laissé la place totale à Dieu seul, à l’amour unifiant qu’est Dieu.

            Montfort l’a incarné prophétiquement de manière souvent provocante, inacceptable pour le monde et l’établissement ecclésiastique. Marie-Louise a su le vivre avec discrétion, modestie, sagesse, rondeur qui contraste avec l’anguleux Montfort au physique comme au spirituel. Il est mort sans avoir réalisé vraiment aucune fondation, c’est Marie-Louise qui, en tâtonnant, a trouvé le lieu providentiel de la fondation, qui l’a réalisée avec un vécu terriblement dépouillé.

             L’homme exerce des pouvoirs bâtisseurs, la femme les incarne dans la durée intérieure, en assure la continuité : c’est en ce sens que le bienheureuse Marie-Louise Trichet fut cofondatrice de la Sagesse. C’est cette vie rayonnante et efficiente que reconnaît sa béatification. Montfort a été le grain qui meurt ; Marie- Louise l’a fait fructifier 10 pour 1. Elle est le vécu intégral du don de soi à Dieu et aux hommes.