Avec le Nouveau Testament le thème change : les merveilles de Dieu ne sont plus celles de la libération temporaire du peuple hébreu, mais celle de la libération spirituelle de l’humanité.
Et le centre en est Jésus-Christ.
C’est Lui que les évangélistes racontent et que les apôtres méditent.
Il est donc dans la logique de la Révélation que nous, chrétiens, nous contemplions les merveilles de la vie de Jésus, comme les anciens juifs contemplaient les merveilles de l’action de Dieu dans leur histoire. Or il se trouve que nous avons dans la propre Mère de Jésus, la Vierge Marie, le modèle le plus parfait de cette contemplation chrétienne.
Confidences mariales
Il y a dans le deuxième chapitre de l’Evangile selon saint Luc deux versets d’une profondeur inépuisable :
V19 : Or Marie conservait (conservabat) toutes ces choses (ou tous ces souvenirs)( verba), les méditant (conferens)dans son cœur. (corde)
V 151 : Et sa Mère conservait toutes ces choses dans son cœur.
Un premier point qui paraît indiscutable à tous, c’est que de tels versets ne peuvent venir que de confidences de Marie, soit que Saint Luc en ait été le bénéficiaire direct, soit qu’il ait utilisé des documents remontant à Marie.
L’hypothèse de confidences à Luc en personne est admise par beaucoup. Lorsque l’évangéliste rejoint saint Paul à Troas au cours de sa deuxième mission (Acte des Apôtres 16, 11) il fixe ses souvenirs qui lui permettront de rédiger le précieux livre des Actes des Apôtres. C’est en l’an 50, donc vingt ans après la mort de Jésus (8 avril 30) .
Or le prologue des Actes (1, 1°) nous apprend que ce travail a été précédé d’un autre, le troisième évangile, en vue du quel il s’est soigneusement documenté. Ces textes indiscutables nous permettent donc d’admettre que l’évangéliste avait largement terminé son enquête vingt ans après la mort de Jésus. Or il est probable que la Vierge Marie vivait encore à cette époque.
Sans doute puisqu’il était d’abord médecin à Antioche, est-il un converti du paganisme grec. Mais son projet d’écrire un évangile et le livre des Actes des Apôtres prouve qu’il n’est pas un converti de la dernière heure. Il est permis de penser avec, certains auteurs, que le compagnon anonyme de Cléopas (Luc, 24, 13-55),n’était autre que lui-même, tant le récit de l’apparition de Jésus sur le chemin d’Emmaüs est d’une émotion prenante ; Qui sait même s’il n’était pas un des soixante douze disciples (Luc 10,1) comme on l’a conjecturé.
Quoiqu’il en soit, on peut conclure que “ Luc vécut un temps dans l ‘intimité de Marie ”
Quelques hébraïsmes :
L’analyse du texte confirme ces données car nous y trouvons deux hébraïsmes que l’hélléniste remarquable qu’était saint Luc n’aurait sûrement pas inventés.
Le premier est le mot verba que nous lisons dans les deux versets qui veut dire paroles, mais il est clair que la sainte Vierge ne se souvient pas seulement des paroles qu’elle a entendues mais aussi des faits qui les ont accompagnées. Comment saint Luc a-t-il pu être aussi imprécis. Tout simplement parce que le terme hébreu employé par la sainte Vierge est lui-même imprécis et a la propriété de signifier à la fois parole et chose. C’est le contexte qui révèle le sens exact, et les traducteurs n’ont eu aucun scrupule à écrire choses ou souvenirs au lieu de paroles.
Le second hébraïsme est le mot cœur, à chacun des deux versets Or ce mot a en hébreu un sens beaucoup plus vaste qu’en français. Il n’évoque pas seulement l’affectivité mais toutes les facultés mentales : mémoire, raisonnement, décisions. Et l’ensemble de ces deux versets prouve comme nous allons le voir plus amplement que c’est bien en ce sens hébraïque que la sainte Vierge parle de son cœur.
Un autre terme intrigue fortement le lecteur c’est en latin conferens traduisant le grec sumballousa. Il est du plus haut intérêt pour nous il se compose en grec du préfixe sun qui évoque l’union et du verbe ballô qui veut dire jeter Son sens premier est donc jeter ensemble mais il signifie le plus souvent “ mettre en commun ”, rapprocher, réunir, d’où résulte l’idée de comparer, confronter. Comment le traduire en français ?
La plupart des versions se contente du terme méditant mais on peut méditer en approfondissant simplement un fait ou une idée, pas nécessairement en recourant à des rapprochements et des comparaisons ;
Et selon un auteur : “ Admirable réflexion, qui nous fait lire au plus intime du coeur de Marie ; Elle comparait ce qu’elle voyait (les choses) et entendait (les paroles) avec des révélations antérieures qu’elle avait reçue, et elle adorait les merveilles du plan divin. ”
Sondage dans le substrat hébreu
A notre époque où des savants font des découvertes exégétiques en cherchant le substrat hébreu ou araméen des écrits du Nouveau Testament, il est tentant de s’enquérir du sens précis du verbe employé par la sainte Vierge dans sa langue quand saint Luc l’a transposé en grec par le participe sumballousa. Dans ce but nous avons consulté un éminent spécialiste qui a bien voulu nous envoyer une note érudite à ce sujet. En voici l’essentiel.
Il précise d’abord que le substrat sémitique de sumballô n’est pas araméen mais hébreu
Il a donc fait sa recherche en hébreu et ne cite pas moins d’une douzaine d’avis différents concernant la racine du verbe originel et il lui semble toutefois que les deux verbes hébreux préférables en l’occurrence sont HGH et SYH. (l’écriture hébraïque primitive ne comporte que des consonnes). Le premier signifie : “ murmurer, répéter, ressasser ”,
et le second “ méditer, s’intéresser réfléchir .”
En savant qu’il est il se refuse à choisir. Nous nous permettons de suggérer une hypothèse. Il nous semble que les deux sens sont en liaison intime.
-1°) Quand on est absorbé par une idée, on y revient en la “ murmurant ”, en la “ répétant ”, en la “ ressassant ” ; c’est le verbe hébreu HGH.
-2°) Normalement on n’en reste pas à ce stade de la mémoire. On passe tout naturellement au stade de la logique et de la critique : on “ réfléchit ”, on “ s’intéresse ”, on médite ”. Et ici nous reconnaissons le verbe SYH.
Or si l’on se réfère au verset 19 de saint Luc, on est frappé d’y trouver combinés ces deux sens :
1°) avec le verbe conservabat ( Marie conservait ces choses) nous sommes au plan de la mémoire et c’est le sens de l’hébreu HGH.
2°) avec le verbe conferens (méditant ) c’est plus précisément le domaine de l’activité inventive et critique de l’esprit comme nous l’avons vu à partit du grec sumballo et c’est le sens de l’hébreu SYH.
Signalons à la suite de notre savant exégète que les deux verbes hébreux HGH et SYH sont associés plusieurs fois dans l’ancien testament à la notion de cœur au sens sémitique (PS 77, 7 .Isaïe 33, 18. Prov 15, 28) C’est donc toujours dans la même ambiance intellectuelle et affective que nous trouvons dans l’Ancien testament et dans le texte de saint Luc.
La Vierge Marie n’était donc nullement dépaysée en reprenant à son compte le cheminement spirituel de ses ancêtres dans la foi, caractérisé par le souvenir des merveilles de Dieu pour obtenir d’autres faveurs ou le remercier.
Se trouvant à la fin des temps anciens et inaugurant l’ère messianique, il lui suffisait d’appliquer aux événements qu’elle vivait la double démarche intellectuelle de tous les juifs pieux ; elle se souvenait et elle approfondissait.
Ces données exégétiques projettent de vives lueurs sur la vie intérieure de Marie. D’autant plus qu’elle a éprouvé le besoin de répéter la même chose à si peu d’intervalle.
Une chose certaine c’est que la vie spirituelle de Marie à cette époque était toute centrée sur la contemplation et l’approfondissement des premiers mystères de la foi chrétienne : L’Annonciation, la Visitation, Noël, la Présentation, le Recouvrement de l’Enfant Jésus au Temple
Elle contemplait mais aussi elle s’efforçait d’approfondir. Autrement dit elle pratiquait sans doute l’oraison active. Elle pratiquait le labeur de la méditation.
L’examen des textes nous apprend donc avec certitude que l’oraison de Marie durant les premières années du Christianisme était totalement alimentée par les souvenirs, l’approfondissement des mystères que nous appelons joyeux.
Est-ce à dire qu’elle changea de méthode par la suite ?
C’est invraisemblable. Nul doute qu’elle n’ait suivi attentivement tout ce que son Fils faisait. Nul doute non plus que, jusqu’à ses derniers moments de la terre, elle ne se soit rappelée sans cesse les mystères douloureux et glorieux, au pied de la Croix, au Cénacle, à la Pentecôte.
Nous pouvons donc assurer que lorsque nous méditons les quinze mystères du Rosaire (et éventuellement d’autres mystères évangéliques) nous suivons exactement la méthode d’oraison qui a été celle de Marie. Sans doute, ses progrès incessants ont toujours davantage illuminé et embrasé son cœur. Et, comme nous l’apprend l’expérience des mystiques, il vint sans doute un temps où sa vue profonde des merveilles de Dieu la dispensait de faire effort pour y pénétrer. Mais essentiellement sa démarche était la même que la nôtre
Il est même sûr qu’au ciel, où elle voit tout en Dieu, elle continue de rendre grâces pour les merveilles qu’elle a vécues et méditées dans la foi et on peut conjecturer qu’elle aime de préférence les âmes mariales qui continuent de prier comme elle a prié.