Extraits de « Invitation à la contemplation » vie et choix de textes du père Pierrre-Thomas Dehau, dominicain (éditions du Cerf)

La grande force, c’est la prière ; les plus puissants diplomates et les soldats les plus forts ne sont pas ceux qui s’agitent dans les chancelleries ou sur les champs de bataille mais ceux qui prient, les âmes d’oraison et ceci n’est pas de la mystique, mais de la foi et même de la foi élémentaire, bien que tout à fait oubliée. Ceux qui ont tout en mains, ce sont ces petites âmes qui s’ignorent elles-mêmes mais qui manient cette arme de la prière, infiniment plus puissantes que les engins les plus perfectionnés – ceux-ci ne portent pas à l’infini, ils ne peuvent atteindre le Cœur de Dieu et c’est le Cœur de Dieu qui décide de tout.

          La prière touche Dieu au cœur et elle en fait ce qu’elle veut. Saint Thomas le dit : « La prière met en mouvement. » Eh bien, mettons donc le bon Dieu en mouvement ! Quelle responsabilité si, ayant une pareille arme entre les mains, vous ne vous en serviez pas, vous restiez à la superficie de vos âmes,… à vous effrayer alors que vous avez Dieu au milieu de vous dans votre cœur .

 

 

         Il faut considérer notre prière comme une matière dont Dieu fait ce qu’il veut mais dont il lui plaît d’avoir besoin pour l’accomplissement de ses œuvres, surtout de ses œuvres les plus chères. S’il en est ainsi, je m’explique très bien pourquoi Dieu nous demande une grande quantité de prières. Il est très remarquable que, dans ses apparitions la Sainte Vierge insiste toujours pour que l’on prie beaucoup, plus semble-t-il, que pour que l’on prie bien.


Prenons une comparaison dans le domaine de l’art. Je suppose un sculpteur qui s’adresse à cette matière très humble qu’est la terre glaise. Il la préfère parce qu’elle il peut en faire tout ce qu’il veut. On la travaille à son gré et, si l’on n’est pas content, on jette tout par terre et on recommence avec la même terre glaise.  Moins parfaite comme être, elle semble donc préférable pour l’artiste comme matière, parce qu’il en fait davantage ce qu’il veut et l’assouplit plus facilement à toutes ses volontés et ses moindres caprices. Cette matière semble tout ce qu’il y a de plus méprisable, et elle l’est en effet dans sa réalité matérielle. Cependant, sans elle, le sculpteur ne peut rien faire.

 

         Ce sculpteur a un petit apprenti, un petit saute-ruisseau, un petit bonhomme insignifiant, auquel il dit : «  Il faut que demain tu m’apportes beaucoup de terre glaise. Je veux beaucoup travailler, j’ai dans l’esprit une quantité de chefs-d’œuvre et si tu m’apportes pas beaucoup de terre glaise, gare à toi, je me fâcherai. Ce que je ferai de cette terre glaise ne te regarde pas, je n’ai pas envie que tu ailles  fourrager dans tout cela. Je n’ai pas grande confiance en toi, tu n’es qu’un petit maladroit, et si tu allais regarder ce que je fais, tu risquerais d’y toucher, tu renverserais tout et il n’y aurait plus qu’une flaque de boue par terre. Aussi j’enfermerai le tout à double tour. Apporte moi seulement beaucoup  de terre glaise ! »

 

        Voilà une petite parabole toute simple. Que de fois je me suis dit : notre prière est cette terre glaise et nous sommes ce pauvre petit saute-ruisseau. Dieu pourrait si bien se passer de celui-ci comme de celle-là. Mais il ne le veut pas. Il veut se servir de nous. Il a décidé de toute éternité que ses chefs-d’œuvre dépendraient de notre pauvre prière. Sans cette misérable matière, il ne peut rien faire, car il s’est engagé à ne rien faire que dans cette matière et par cette matière. Alors Dieu nous dit : Prie beaucoup. Ne t’occupe pas trop de voir comment tu pries ni ce que je ferai de ta prière et avec ta prière. Ce que j’aurai fait, je l’enfermerai, je le mettrai sous clef, sous triple verrou, parce que si tu le voyais, tu gâcherais tout. Tu détruirais par ton orgueil ce que tu aurais fait par ta prière. Je te demande seulement de m’en donner beaucoup, de ta prière, de ma chère matière à moi, à moi le grand artiste pour en faire ce que toi, le manoeuvre, tu n’as pas besoin de voir ; ce qu’il vaut mieux que tu ne voies pas. Cela vaut mieux pour toi et pour moi, pour ton humilité et pour ma gloire.

          Il y a des jours où nous sentons très bien que c’est comme cela, tout à fait comme cela, que les choses se passent. Dieu veut beaucoup de prière et nous avons beau sentir combien notre prière est misérable, Dieu nous dit de continuer, d’augmenter, d’intensifier. « Plus ta prière est misérable, plus elle est humble, et c’est cela qu’il me faut ; reste donc là ; donne-moi, apporte-moi seulement de la prière en quantité et je qualifierai moi-même tout cela par les dons de mon Esprit-Saint. Toi, tu n’as pas besoin de voir, cache-toi et laisse-moi te cacher les belles œuvres que je fais par toi. »

 

          La Sainte Vierge elle aussi a ce même style, elle réclame cette manière de prier : dans toutes ses apparitions du XIXème siècle, à La Salette, à Pontmain, c’est toujours ce qu’elle dit : « Vous ne priez pas assez ; » ou encore : «  Mais priez donc ! » Ce « mais » ! Il semble que la Sainte Vierge continue un entretien ; et en effet, elle est toujours près de nous pour nous  dire cela.

          Nous ne prions jamais assez, même ceux qui prient le plus, même ceux qui  prient tout le temps. C’est comme pour la foi, nous n’en avons jamais assez. Notre-Seigneur pourrait nous dire : « Ah ! Que ton oraison est petite et qu’elle est peu de choses ! Je ne peux pas en faire ce que je veux ! Cours donc m’en chercher encore de cette matière là, je n’en n’ai pas assez pour toutes les inventions de mon amour, que de plus en plus je veux faire dépendre de ta prière. Il m’en faut plus, toujours plus, il m’en faut immensément. »

 

             On sent chez la Sainte Vierge comme une sorte de sainte impatience : « Mais priez donc ! mes enfants ! » crie-t-elle à Pontmain. 

« Aidez-moi à soutenir le bras de mon Fils » crie-t-elle à La Salette, pour qu’il ne retombe pas sur le monde en châtiments effroyables. C’est ainsi que l’on soutenait le bras de Moïse sur la montagne. Si vous étudiez les révélations de la Sainte Vierge en France au XIXème siècle, vous serez très frappés de cette importance de la prière : il semble qu’elle ait besoin que l’on vienne à son aide.