Extrait du livre « les trois sagesses «  du père Marie-Dominique Philippe ( Editions Aletheia Fayard)

Jean est présent, debout au pied de la Croix, vivant le mystère de Jésus. C’est encore son amour pour Jésus qui lui permet d’être fidèle. Il est là uniquement pour Jésus, et pour lui témoigner sa fidélité, son amour. Il n’a qu’un seul regard vers Jésus rejoignant à la fois le premier regard de Jésus sur lui : « Que cherchez-vous ? » et le dernier regard de Jésus du haut de la Croix, ce regard qu’on retrouve du reste dans l’Apocalypse, ce regard de feu entre Jésus et Jean -« ses yeux sont comme une flamme ardente »- un regard spécial d’amour et de tendresse, un lien de feu.

Et voilà que Jésus, du haut de la Croix, dit à Marie : «  Femme voici ton Fils »,  et à Jean : « Voici ta mère. » Jésus veut que Jean regarde Marie et que Marie regarde Jean. Marie n’avait qu’un seul désir : être là, auprès de Jésus ; et elle ne regardait que lui. Jean n’avait qu’un seul désir : être là auprès de Jésus, et ne regarder que lui. Et voilà que Jésus veut que, dans leur unité avec lui, il y ait un surcroît d’unité ; c’est pour cela qu’il donne sa mère à Jean et qu’il donne Jean à Marie. C’est peut-être là qu’on saisit le mieux comment la contemplation chrétienne, toute d’amour porte l’exigence de la charité fraternelle. Aucune rivalité entre l’amour contemplatif à l’égard du Père et la charité fraternelle, l’amour pour ceux que Jésus a mis auprès de nous.

La contemplation chrétienne se réalise en plénitude dans le coeur de Marie, dans sa maternité divine à l’égard de son Fils bien-aimé, qui est le Fils du Père, et la charité fraternelle se réalise en plénitude dans la maternité de Marie à l’égard de Jean. C’est à travers cette double maternité que le précepte nouveau d’amour, unissant sans les confondre contemplation et charité fraternelle atteint son sommet. Cela nous fait bien comprendre le rôle si important de Marie, la nouvelle Eve, dans l’économie divine. C’est elle qui nous apprend à entrer dans la contemplation chrétienne en ce qu’elle a de plus pur, et c’est elle aussi qui nous apprend à vivre de la charité fraternelle en ce qu’elle a de plus pur et de plus exigeant. A la Croix, Jésus lui-même réalise ce lien nouveau entre Jean et Marie, au moment précis où Marie tout entière unie à lui à travers son mystère de Compassion, dans cette nouvelle contemplation maternelle à l’égard de Jésus crucifié, à l’égard de son Fils qui agonise et qui souffre le mystère de la Croix. C’est à ce moment là qu’elle est donnée à Jean pour être sa mère. Celle qui est donnée à Jean c’est celle qui est « une » avec Jésus dans son mystère de Compassion, c’est celle qui réalise avec Jésus le même mystère d’amour, le même holocauste d’amour, celle qui, dans sa foi, son espérance et son amour, complète et achève le mystère de la Croix du Christ. C’est celle-là qui est donnée à Jean. Jean reçoit la mère de Compassion pour qu’elle soit sa mère.

Le secret que Marie lui communique en premier lieu, c’est donc son lien si fort et si intime avec Jésus crucifié ; l’unité qu’elle vit avec Jésus, c’est cela qu’elle communique à Jean. Et Jean lui-même, comme fils bien-aimé de Marie lui donne son lien avec Jésus, sa fidélité de disciple bien-aimé qui vit le mystère de la Croix dans le silence, qui est tout entier tendu vers Jésus et qui ne vit que pour lui. Marie reçoit ce don et Jean reçoit ce don ; et une nouvelle unité se réalise, une nouvelle alliance, cette alliance « domestique » ou « familiale » comme disent saint Ambroise et saint Augustin. C’est une alliance de surabondance qui n’était pas nécessaire : Marie était fidèle à Jésus, Jean l’était aussi et donc ils vivaient pleinement ce que le Père réclamait d’eux ; c’était leur propre sainteté. Et voilà que Jésus veut quelque chose de plus, un mystère de surabondance. Le mystère de la maternité divine de Marie à l’égard de Jean, et par lui à l’égard de l’Eglise, à notre égard est un mystère de surabondance et c’est un mystère nécessaire dans la mesure où l’amour réclame la surabondance, dans la mesure où l’amour veut toujours aller plus loin. Parce que c’est la propre de l’amour de vouloir toujours aller plus loin, on comprend la nécessité de cette nouvelle alliance, toute gratuite qui se réalise dans cette initiative d’amour de Jésus.

C’est bien une initiative, l’ultime initiative ;  c’est bien le testament dernier du Christ où il veut exprimer tout son amour pour Jean en lui donnant sa propre Mère. Il ne pouvait pas exprimer plus sa confiance, sa tendresse pour Jean qu’en lui donnant sa Mère. et à Marie aussi il lui révèle toute sa tendresse, tout son amour, en lui montrant la fécondité de son lien avec lui, en  lui montrant qu’elle coopère à la même œuvre et qu’elle vit du même mystère puisqu’il il y a ce fruit commun : Jean est bien le fruit de la Rédemption et le fruit de la maternité divine de Marie, c’est-à-dire du mystère de Compassion.

On pourrait dire que le geste de Jean au moment de la Cène quand il repose sa tête sur la poitrine de Jésus, prend alors toute sa signification. La Cène est ordonnée à la Croix, et tout ce qui se passe à la Cène doit nous aider à comprendre la Croix ; parce que c’est la Croix qui achève tout, qui termine tout. Si donc Jean est à ce point lié au Christ à la Cène, ce geste de divine familiarité, de si grande intimité, nous aide à saisir ce qu’il y a de merveilleux dans la nouvelle alliance familiale de Marie avec Jean – puisque Marie est le trésor du Cœur du Christ et qu’en donnant Marie à Jean, Jésus donne le trésor de son Coeur. Jésus aime Marie de l’amour même dont il aime son Père, et dans la même lumière ; donc, en donnant Marie à Jean (en nous la donnant), il lui donne (il nous donne) ce qu’il y a de plus secret, de plus vital, et de plus profond dans son Coeur.